Published 30 septembre 2024 Commentaires 0 Commentaire Par Eric Mabille Tags EscapadesEugène DodeigneFranceLa Piscine - Roubaixsculpture moderne Eugène Dodeigne, la pierre foudroyée, à La Piscine de Roubaix Eugène Dodeigne – Une Rétrospective II investit La Piscine de Roubaix. Près de 200 œuvres dévoilent un créateur en perpétuelle quête de formes essentielles, entre abstraction et figuration. Une exposition qui nous révèle un artiste protéiforme dont l’œuvre oscille entre rugosité minérale et sensualité sculpturale. A voir jusqu’au 12 janvier 2025. Le choc des formes et de la matière Si l’on devait définir l’art de Dodeigne en une image, ce serait celle d’un bloc de pierre frappé par la foudre, entre brutalité et douceur. L’exposition ‘Eugène Dodeigne – Une Rétrospective II’, présentée à La Piscine de Roubaix, réhabilite un sculpteur qui a façonné le paysage artistique français sans toujours recevoir la reconnaissance qu’il méritait. Cette rétrospective permet d’embrasser l’entière richesse d’un créateur tour à tour tailleur de pierre, peintre, graveur, bronzier et photographe. Un parcours réinventé pour une réhabilitation attendue Initialement conçue et montée en 2020 mais restée invisible en raison de la pandémie, cette exposition renaît avec une scénographie revisitée et de nouvelles pièces issues de collections publiques et privées. Dodeigne, cet artiste du Nord, figure de proue du Groupe de Roubaix, est omniprésent dans l’espace public, et pourtant son travail reste méconnu du grand public. À Lille, dans le jardin Vauban, devant le Palais des Beaux-Arts, dans les parcs et lycées de la région, dans le Jardin des Tuileries, à Paris, dans le Jardin des Sculptures du LAAC, à Dunkerque ; ses sculptures monumentales hantent le paysage. Elles évoquent des menhirs modernes, des figures primordiales jaillies de la pierre, souvent en groupe, comme une tribu de spectres figés en pleine conversation silencieuse. L’univers sculptural de Dodeigne L’exposition se déroule comme une fresque évolutive, un retour sur soixante années de création, révélant les multiples visages du sculpteur. Un portrait renouvelé de l’artiste au gré de subtiles face à face entre sculpture, dessin et peinture, reflétant bien des cheminements stylistiques. Viennent d’abord les œuvres de jeunesse. Des racines primitives, reliquats de ses visites au Musée de l’Homme, à Paris. Dès ses premières œuvres, Dodeigne puise dans les arts premiers et l’art roman, conférant à ses sculptures en bois un aspect stylisé, presque totémique, à l’image de ‘Invocation (1948)’. Il y a déjà ce dialogue intense avec la matière brute, cette recherche des formes essentielles. Vient ensuite l’épuration formelle. Fasciné par Brancusi, Arp et Henry Moore, il traque la simplicité ultime à travers des courbes biomorphiques et des lignes oblongues. Sa quête est celle d’une pureté sculpturale virtuose, où chaque volume trouve sa place dans un équilibre parfait. ‘L’idole’ – provenant des collections du musée des Beaux-Arts de Belgique, acquise à l’époque par le collectionneur belge Benedict Goldsmith – en est un pur exemple. La pierre bleue, une révélation À partir de 1956, il adopte la pierre de Soignies, pierre de ses origines dont il explore avec virtuosité les nuances grisâtres, bleutées et les textures pour faire vibrer ses figures de manière expressive et puissante. Une pierre âpre, résistante, que Dodeigne apprivoise, la modelant dans des compositions où la rudesse s’allie à la grâce, dans un jeu entre le plein et le vide. Révélation particulière, quand à la même époque, il recourt également à la pierre de lave avec ses colorations de soufre et son aspérité couverte d’alvéoles en surface. L’énergie brute de la pierre éclatée En 1959, après un séjour en Autriche, il révolutionne son approche en taillant la pierre de manière heurtée et monolithique, lui conférant une force tellurique saisissante. Cette approche, qui refuse la finition lisse, fait dialoguer le geste du sculpteur avec la nature même de la pierre. La sculpture, sculptée à même la carrière, va commencer à se concevoir dans le monumental, pour l’extérieur. Des torses puissants et massifs, presque symboliques, réduits à l’essentiel. Des groupes de figures debout, élancées, se créent. Les formes solitaires s’associent. Le marbre de Carrare sera également utilisé dans ses attroupements de figures, comme celui trônant au centre de la cour intérieure du Palais des Beaux-Arts de Lille. Des bronzes incandescents Dès 1963, Dodeigne s’attaque au bronze à la cire perdue, modelant des figures marquées par une intense expressivité. Le métal devient alors un autre terrain d’expérimentation, capturant dans un exemplaire unique la tension des corps dans des formes figées entre force et fragilité. Des figures fantomatiques, étranges, sonores tel ‘Le Cri’ de Munch. A ces bronzes à la taille modeste répond la monumentalité de certains autres. Chef-d’œuvre emblématique, filiation avec Auguste Rodin, ‘Le Groupe des Trois (1976-1979)’ réunit pour la première fois ses éléments provenant de collections privées. Cette œuvre magistrale incarne la tension entre abstraction et figuration. Trois figures se dressent, imposantes et rugueuses, comme si elles avaient surgi d’un sol archaïque. L’alternance entre surfaces polies et éclatées capte la lumière différemment selon les heures du jour, accentuant leur présence spectrale et monumentale. Une sculpture entre rudesse et humanité L’œuvre de Dodeigne vibre d’une tension permanente entre la brutalité et la délicatesse. Il laisse volontairement visibles les stigmates du travail de l’outil, affirmant son attachement au geste artisanal. Ses figures imposantes semblent figées dans un élan intérieur, porteuses d’une humanité silencieuse et vibrante. Il y a chez lui un refus du superflu. Ses sculptures, austères et vibrantes, témoignent d’une recherche de l’essence même du corps humain, une présence archaïque qui convoque à la fois la statuaire médiévale et les formes les plus abstraites de l’art moderne. Un artiste total, un créateur insatiable Une production saisonnière ; sculpture estivale en extérieur, peintures et dessins en hivernal. Dodeigne n’est pas qu’un sculpteur. Il embrasse toutes les disciplines avec un même souci de la matière. Le dessinateur habité Dans ses fusains monumentaux, inspirés par la danse, il capture la tension et l’énergie du mouvement. Son trait est vif, presque nerveux, traduisant une urgence à fixer l’instant. Mais aussi des nus, au plus près de la finesse du trait, exécutés à la mine de plomb. Dessin qui s’émancipe à partir de 1964 ; les feuilles grandissent et deviennent œuvres par et pour elles-mêmes. Le bâtisseur de son propre univers Concevant ses maisons et son mobilier avec une audace mêlant rusticité, matériaux de récupération de chantiers de démolition et modernisme, Eugène Dodeigne crée ses propres espaces de vie, en écho à ses recherches sculpturales. Une peinture charnelle et sensorielle Dans les années 1960, il explore le nu féminin avec une matière dense et une palette réduite, traduisant une sensualité vibrante. Dodeigne peint comme il sculpte, dans un geste physique et engagé, donnant naissance à des œuvres où l’émotion affleure. Dodeigne, sculpteur de lumière Photographe de ses œuvres, comme Brancusi, son travail photographique, encore méconnu, dévoile un œil sensible aux jeux d’ombres et de lumières sur ses œuvres monumentales. Ces clichés révèlent son souci du cadrage, du contraste, et son désir de prolonger la vie de ses sculptures au-delà de la matière. Un photographe du minéral, capturant ses sculptures dans leur dialogue avec la nature, sous la lumière changeante des saisons. Un témoignage précieux de son regard d’artiste et de sa relation intime avec la matière. Des clichés réunis dans le très beau livre ‘Chant de Pierre’ et exposés dans les cabines du 1er étage de La Piscine. Des plâtres, des études Une entrée dans l’intimité de l’atelier clôture le parcours avec cette immense plateforme au multiples terres-cuites, figures émergentes, modelées très rapidement dont certaines étaient transcrites dans la pierre et envisagées dans une exploration des assemblages de sculptures possibles. Eugène Dodeigne : Un colosse du Nord Né en Belgique, à Rouvreux, pays de la pierre de Soignies, en 1923 et naturalisé français, Dodeigne s’est imposé sur la scène internationale en restant profondément enraciné dans sa terre natale. Issu d’une famille de tailleurs de pierres, le jeune Dodeigne baigne dès son enfance dans cet univers artisanal. De 1936 à 1943, il fréquente l’école des Beaux-Arts de Tourcoing, période pendant laquelle il s’initie au dessin d’après modèle vivant. Il passera le concours des Beaux-Arts de Paris en 1943 où il est reçu 1er lauréat. Il rentre dans l’atelier d’Henri Bouchard dont l’atelier est reconstitué au sein du musée de La Piscine. Soutenu dès ses débuts par des collectionneurs éclairés comme Jean Masurel et Philippe Leclercq, il s’est affirmé comme un maître de la sculpture moderne. S’installera à partir de 1949 à Vézelay dans une communauté d’artistes où il conçoit meubles, sculpte des figurines en bois et peint ses première peintures, d’étonnants portraits entre Primitivisme et influence cubiste. Eugène Dodeigne, la REVIEW BOOMBARTSTIC De la rudesse de la pierre bleue à la sensualité du bronze, il a su donner à la matière un souffle vital, un écho intemporel qui résonne encore aujourd’hui. Son œuvre, disséminée dans l’espace public, peuple les villes de ses figures hiératiques, silencieuses et profondément humaines. Cette rétrospective à La Piscine est bien plus qu’une simple exposition : c’est une invitation à redécouvrir un géant de la sculpture, dont la puissance et la modernité continuent de résonner à travers le temps. Dodeigne nous rappelle que l’art n’est pas seulement une affaire de formes, mais un dialogue perpétuel entre l’homme et la matière, entre l’artiste et le monde. Eugène Dodeigne – une Rétrospective II Musée La Piscine 24 rue des Champs 59100 Roubaix jusqu’au 12 janvier 2025 du mardi au jeudi, de 11h à 18h vendredi, de 11h à 20h week-end, de 13h à 18h https://www.roubaix-lapiscine.com/ Eugène Dodeigne, Sans titre, 1976-1981, figurines en terre cuite rose, collection de La Piscine – Musée d’art et d’industrie André Diligent. don de Monsieur et Madame B. en 2023, (c) ADAGP, Paris, 2024, (c) photo Alain Leprince, Boombartstic Art Magazine Roger Catherineau (1925-1962), Dodeigne dans le jardin de la maison des Bois blancs, vers 1954, Exposition Eugène Dodeigne, une Rétrospective II, La Piscine, Roubaix, 2024, (c) photo Archives Dodeigne, Boombartstic Art Magazine Eugène Dodeigne, influences des Arts Premiers, Invocation, 1948, bois de noyer, Maternité, 1949, bois, exposition Eugène Dodeigne – une Rétrospective II, Musée La Piscine, 2024, (c) photo vue de l’exposition Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine Eugène Dodeigne, créateur de mobilier et architecte, exposition Eugène Dodeigne – une Rétrospective II, Musée La Piscine, Roubaix, 2024, (c) photo vue de l’exposition Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine Eugène Dodeigne (1923-2015), L’Élan, 1954, bois, 122,5 x 31 x 18 cm, collection particulière, exposition Eugène Dodeigne – une Rétrospective II, Musée La Piscine, Roubaix, 2024, (c) ADAGP, Paris, 2024, photo Alain Leprince, Boombartstic Art Magazine Vue de l’exposition Eugène Dodeigne – une Rétrospective II, Musée La Piscine, Roubaix, 2024, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine Eugène Dodeigne, L’Idole, 1954, bronze, Susse fondeur, collection particulière, ancienne collection Philippe Leclercq, exposition Eugène Dodeigne – une Rétrospective II, 2024, Musée La Piscine, 2024, (c) photo vue de l’exposition Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine Eugène Dodeigne, Torse, 1960, sculpture en lave, collection particulière, ancienne collection Philippe Leclercq, exposition Eugène Dodeigne – une Rétrospective II, Musée La Piscine, Roubaix, 2024, (c) photo vue de l’exposition Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine Eugène Dodeigne (1923-2015), Mains levées, 1964, Bronze à la cire perdue, 65 x 39 x 30 cm, collection particulière, exposition Eugène Dodeigne – une rétrospective II, Musée La Piscine, Roubaix, 2024, (c) ADAGP, Paris, 2024 photo Alain Leprince, Boombartstic Art Magazine Eugène Dodeigne, Relief, 1969, bronze à la cire perdue, collection particulière, exposition Eugène Dodeigne – une Rétrospective II, Musée La Piscine, Roubaix, 2024, (c) photo vue de l’exposition Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine Eugène Dodeigne, Figures du Groupe de Trois, 1972, bronze à la cire perdue, collections particulières et Musée municipal Le Touquet Paris-Plage, exposition Eugène Dodeigne – une Rétrospective II, Musée La Piscine, Roubaix, 2024, (c) photo in situ Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine Eugène Dodeigne, ensemble de sculptures en bronze à la cire perdue, vue de l’exposition Eugène Dodeigne – une Rétrospective II, Musée La Piscine, Roubaix, 2024, (c) photo Eric Mabille, Boombarstic Art Magazine Eugène Dodeigne (1923-2015), Méditation, 1974, sculpture en bronze à la cire perdue, 95 x 70 x 50 cm, collection particulière, exposition Eugène Dodeigne – une Rétrospective II, Musée La Piscine, Roubaix, 2024, (c) ADAGP, Paris, 2024 photo Alain Leprince, Boombartstic Art Magazine Eugène Dodeigne, vue de l’exposition Eugène Dodeigne – une Rétrospective II, Musée La Piscine, Roubaix, 2024, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine Eugène Dodeigne (1923-2015), Le Groupe des dix,1970, photographie Eugène Dodeigne, tirage André Florin (1928-2016), Roubaix, La Piscine – Musée d’art et d’industrieAndré Diligent. don de la famille Dodeigne en 2024, exposition Eugène Dodeigne – une Rétrospective II, Musée La Piscine, Roubaix, 2024, (c) ADAGP, Paris, 2024, Boombartstic Art Magazine Auteur Eric Mabille "J’adore bouger et mon rapport à l’art est dans le mouvement, l’instinct et l’instant et ce depuis toujours. J'aime ce côté spontané, libéré de toute connaissance préalable, en vrai autodidacte. J’apprécie aussi pleinement le moment privilégié d’une preview presse, où seul dans une salle d’exposition, j’ai cette impression d’avoir toutes les œuvres pour moi. » Eric Mabille est diplômé en marketing, passionné de web, spécialisé en gestion de projets culturels et en marketing de destination et de niche. Il fréquente depuis plusieurs années l’atelier de dessin et les cours de chant lyrique à l’Académie de Saint-Gilles.