Published 9 juin 2022 Commentaires 0 Commentaire Par Eric Mabille Tags BruxellesExpositionFondation ThalieInner BodiesKiki SmithNathalie Guiot Kiki Smith, entre ciel et terre L’artiste américaine Kiki Smith est au programme de la Fondation Thalie depuis début 2022 avec ‘Inner Bodies’, une exposition monographique regroupant une trentaine d’œuvres dont beaucoup présentées pour la première fois à Bruxelles. Des dessins, des sculptures, de la tapisserie et de la céramique. Une artiste multiforme à la signature distinctive, à (re)découvrir jusqu’au 18 juin. Certain.e.s se souviennent encore de la magnifique rétrospective ‘Entre Chien et Loup’, présentée il y a deux ans au Centre de la Gravure et de l’Image imprimée de La Louvière, et se replongeront avec plaisir dans ‘Inner Bodies’, cette nouvelle expo solo consacrée à l’artiste qui présente une séries d’œuvres réalisées dans les années 2000. On y retrouve volontiers tout ce qui fait le vocabulaire stylistique et la signature de Kiki Smith depuis des années : un répertoire figuratif exclusivement féminin en parfaite harmonie avec le monde végétal et animal, une représentation du corps dans toute sa matérialité, un corps qui transcende les contes et légendes de l’enfance, les grands mythes de la culture occidentale, les rites culturels et cultuels. Et toujours, toujours ce regard planté au-delà des forêts et des montagnes, vers l’ailleurs, l’autre côté ; vers le cosmos et l’origine des mondes. En ce, cette artiste s’inscrit en parfaite cohérence avec l’ADN de la Fondation Thalie qui est de défendre la place des femmes sur la scène artistique, de sensibiliser le public aux enjeux écologiques et d’encourager les pratiques artistiques transversales, entre artisanat et design. Le Corps habité – Le corps est notre dénominateur commun, la scène de notre désir et de notre souffrance. Je veux exprimer par lui qui nous sommes, comment nous vivons et nous mourrons. KIKI SMITH Kiki Smith – Inner Bodies Inner Bodies, le nom d’une exposition au titre un peu sibyllin s’il ne s’expliquait par son double sens et sa double traduction entre corps intérieurs et corps cachés. De l’abyme à la mise en abyme, une exploration du corps, épicentre de nos désirs et de nos souffrances. Ce corps, Kiki Smith s’y est intéressé dès les années 70. Fascinée par l’ouvrage d’Henry Gray, Anatomy of the human body (1958) qu’elle reçut d’un ami, elle s’intéressera de près à sa représentation. Elle n’aura, par la suite, de cesse de le dessiner, de le reproduire, d’en comprendre l’intérieur jusqu’à en déployer les entrailles. Telle une imagerie médicale devenue art, elle reproduira les organes en artefacts de cristal, de verre et de bronze. Une mise en pièce du corps, passé au scalpel ; un organisme humain morcelé, fragmenté, éclaté comme pour en souligner la fragilité. Des formes organiques transcrites plastiquement en une série de petites sculptures, posées là, devant soi, comme dans un reliquaire ou un cabinet de curiosités. Petit à petit, elle dépassera cette vision organique et systémique du corps pour en apprivoiser l’enveloppe, le derme humain obtenu par moulage sur son propre corps et sur le corps d’autrui. Cette peau mise à plat ensuite, devenue territoire. Cette peau qui nous protège et nous sépare du monde. Elle élargira son propos par la suite en en gommant les frontières, cette démarcation qui nous sépare de la nature, du cosmos et des astres. Après tout, humains, nature, cosmos, astres et constellations ne sont-ils pas reliés par la même équation universelle de vie, de mort et de renaissance ? Unifié ainsi dans une œuvre cosmogonique – qui relate la formation des objets célestes et la part de mythologie qui raconte la naissance du monde et des hommes – Kiki Smith sanctuarise en bronze, en porcelaine, sur tapisserie ou sur papier, figures humaines, végétaux, fleurs, oiseaux, papillons, comètes, étoiles et croissants de lune ; leur donnant force élémentaire. Un travail qui balaie d’emblée distinction et hiérarchisation des genres entre art et art décoratif. Sur le bord du cratère, je pense à l’Univers. Et son mouvement incessant M’entraîne encore vers l’origine du temps. Je sais que je ne pourrai pas m’en échapper. Tel un nuage de fumée, je disparaîtrai comme j’aurai existé. Le jour où la Terre, la Terre s’éteindra, Il y aura longtemps que je ne serai plus là. Je ne verrai pas la fin des étoiles, La vague sans fond du chaos infernal. – NIAGARA, ‘La Fin des Etoiles’ Kiki Smith – tableaux d’une exposition Dès l’entrée, dans le hall, le long de l’escalier qui mène à l’étage, sur une grande tapisserie en disposition portrait ; une femme nue au teint diaphane et lunaire danse, libre, avec des oiseaux et des étoiles sur un fond de ciel bleu profond, et lévite au dessus d’une cordillère de montagnes. Une organisation picturale en arc de cercle, dynamique qui n’est pas sans évoquer l’univers de Chagall. Une tapisserie, qui comme les autres à été réalisée à Gand, dans la plus pure tradition séculaire flamande. Un peu plus loin, au milieu d’un très beau face à face entre végétaux, animaux et mains en bronze, un alignement de petites figurines délicates et blanches en porcelaine sous leur vitrine illustre le thème de l’humain rendu à la nature, apprivoisant son animalité. Côte à côte la petite fille sage d’Alice aux Pays des Merveilles et une jeune fille se promenant nue sur le dos d’un loup. Et voilà que surgissent de notre mémoire, les contes de notre enfance, la figure du chaperon rouge et de ce méchant loup que la morale de l’époque souhaitât qu’une jeune fille ne le vit point. Avec sa petite taille, elle s’affirme ode à la liberté, par delà les dangers et les recommandations répétées. Dans la même vitrine, une autre figurine, une jeune fille semble est renversée par un chien pour être dévorée. ‘N’est-ce pas là une stratégie pour sortir de soi-même ?’ Face à elles, de multiple autoportraits de l’artiste se déployant sur papier népalais plié et fripé, non encadré, suspendus par de simples épingles. Des corps souvent nus réalisés au crayon, à la mine de plomb ou à l’encre, saisis dans leur simplicité naturelle, leur animalité, parfois rehaussés de fragments de feuille d’or, comme pour les rapprocher du divin. Vient ensuite la série ‘Eclipse January Twenty-first’ et le souvenir des ce jour de 2018 où la Lune disparut en éclipse totale -la plus longue du 21e siècle. Un alignement de plusieurs double-portraits, joints deux à deux, le second semblant naître du précédent par glissement, offrant parfois l’impression d’un visage à quatre yeux pour voir et voir au-delà. La dernière salle abrite les Shadows, une forêt de croissants de Lune assemblés en une sorte d’écriture orientale ou CoBrA, face à une voûte étoilée. Dans ce silence cosmique, rien ne semble perturber la quiétude de deux visages d’enfants en bronze qui reposent apaisés sur leur corole de fleur. Kiki Smith – la nature et le cosmos en tatouage La femme de Kiki Smith charrie avec elle tout un monde onirique et réel, végétal, animal et cosmique qu’elle entraine avec elle dans sa danse, telle une irradiation créative. La nature au féminin de Kiki Smith est tatouée dans son œuvre comme une affirmation de la femme, loin de toute velléité d’un féminisme médiatique ou dogmatique. Créature farouche proche du monde sauvage, et du mystère le la vie, la femme se tient là, debout, parcourue par les forces telluriques de la terre mère, acceptant la finitude et l’immensité du cosmos. En artiste instinctive et versatile, Kiki Smith aime humblement à expérimenter les procédés jusqu’à ce que les circonstances en décident autrement. Dans son petit atelier et sa maison, en pleine campagne, non loin de New York, elle est là, contente, observant ce que les carreaux de ses fenêtres lui donnent à voir et ce qu’elle croise aux bords des chemins, Placée sous la curatelle de Nathalie Guiot, fondatrice de la Fondation Thalie, Inner Bodies donne l’occasion de voir un ensemble d’œuvres de kiki Smith, pour la plupart jamais montrées à Bruxelles, prêtées par des collectionneurs privés et des galeries internationales : La Galleria Continua, la Galerie Lelong & Co, Paris et la Pace Gallery, new York. Kiki Smith Inner Bodies Fondation Thalie 15 rue Buchholtz 1050 Bruxelles jusqu’au 18 juin 2022 du mercredi au vendredi de 12h à 18h, le samedi de 11h à 18h https://www.fondationthalie.org/fr Kiki Smith, exposition Inner Bodies, vue de l’exposition, Fondation Thalie, Bruxelles, 2022, (c) Fondation Thalie, Boombartstic Art Magazine Kiki Smith, Tiller, bronze, 2016, exposition Inner Bodies, Fondation Thalie, Bruxelles, 2022, (c) courtesy Galleria Continua, (c) photo Boombartstic Art Magazine Kiki Smith, la jeune fille et le loup, porcelaine, exposition Inner Bodies, Fondation Thalie, Bruxelles, 2022, (c) photo Eric Mabille – Boombartstic Art Magazine Kiki Smith, Floating 2, encre, crayon de couleur et feuille d’or sur papier népalais, exposition Inner Bodies, Fondation Thalie, Bruxelles, 2022, (c) courtesy Collection Nathalie Guiot, Boombartstic Art Magazine Kiki Smith, Visitors, tapisserie Jacquard, 2014, exposition Inner Bodies, Fondation Thalie, 2022, (c) courtesy de l’artiste, Magnolia Editions et Galleria Continua, (c) photo Eric Mabille – Boombartstic Art Magazine Kiki Smith, unknown, Flower Head, 2012, exposition Inner Bodies, Fondation Thalie, Bruxelles, 2022, (c) courtesy the artist & Galleria Continua, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine Kiki Smith, Eclipse January Twenty-first, encre et feuille d’or sur papier népalais, 2019, exposition Inner Bodies, Fondation Thalie, 2022, (c) courtesy de l’artiste et Galleria Continua, (c) photo Eric Mabille – Boombartstic Art Magazine Kiki Smith, papillon de nuit, détail, dessin rehaussé à la feuille d’or sur papier népalais, exposition Inner Bodies, Fondation Thalie, Bruxelles, 2022, (c) photo Eric Mabille – Boombartstic Art Magazine Kiki Smith, jeune fille en porcelaine, exposition Inner Bodies, Fondation Thalie, Bruxelles, 2022, (c) photo Eric Mabille – Boombartstic Art Magazine Kiki Smith, lunes et étoiles, vue de l’exposition Inner Bodies, Fondation Thalie, Bruxelles, 2022, (c) photo Eric Mabille, Boombartstic Art Magazine Auteur Eric Mabille "J’adore bouger et mon rapport à l’art est dans le mouvement, l’instinct et l’instant et ce depuis toujours. J'aime ce côté spontané, libéré de toute connaissance préalable, en vrai autodidacte. J’apprécie aussi pleinement le moment privilégié d’une preview presse, où seul dans une salle d’exposition, j’ai cette impression d’avoir toutes les œuvres pour moi. » Eric Mabille est diplômé en marketing, passionné de web, spécialisé en gestion de projets culturels et en marketing de destination et de niche. Il fréquente depuis plusieurs années l’atelier de dessin et les cours de chant lyrique à l’Académie de Saint-Gilles.