Published 4 février 2023 Commentaires 0 Commentaire Par Eric Mabille Tags art textilegalerieGalerie DétourJambesJehanne PaternostreL'inséparable Contrairetapisserie Jehanne Paternostre, l’inséparable envers, à la Galerie Détour (Jambes) L’artiste belge Jehanne Paternostre investit la galerie Détour, à Jambes, avec son exposition solo ‘L’inséparable Contraire’ ; un parcours cousu de fil qui nous parle de restauration, de conservation et de mémoire. A découvrir jusqu’au 11 février 2023. Jehanne Paternostre expose à la galerie Détour une série d’œuvres nées de ses années de recherches et de documentation de l’acte de restauration, d’archivage et de conservation. Un itinéraire artistique et plastique qui l’amena du document au monument, et plus récemment à la tapisserie. L’exposition présente un ensemble de pièces récentes et d’autres compilées au grée de ses années de pratique. Dès l’entrée de la galerie, un petit texte sous verre dont la presque intégralité du corps a été poncée, ne laissant apparaître que le mot ‘conservation’. Un œuvre qui nous rappelle que conserver c’est parfois effacer. Un effacement qui repose sur une question de choix : pourquoi effacer certaines choses et d’autres pas ? Lui fait face la photo d’un détail de tapisserie du 17ème avec le tracé médian vertical d’un travail de restauration en cours – document d’archive du T.A.M.A.T. – Musée de la Tapisserie et des Arts Textiles à Tournai. Un infime détail pour contextualiser une exposition dont le titre est ‘l’inséparable contraire’. Une plongée à l’envers de la tapisserie. Un envers censé vous dire la vérité, comme l’exprimait Louise Bourgeois – dont les parents étaient restaurateurs de tapisseries. Apprendre à regarder l’envers, se retrouver en-dessous de la toile, là où l’informe a sa place, dans un entrelac de sorties de fils, de réparations et de tissus consolidants. Être en-dessous de l’image, c’est apprivoiser la pénombre, une lumière qui ne se perçoit que par de milliers de petits trous éclairés en contre jour. C’est apercevoir la poussière et les reliquats de fils, petites parcelles de temps et de couleurs tombés sur le sol. Ces petits ‘presque riens’ désormais insignifiants face au prestige de l’œuvre dont ils sont extraits. Le processus de restauration de la tapisserie, Jehanne Paternostre le documente, le filme, en observe la gestuelle ; une main posée au-dessus, une main en-dessous pour se passer l’aiguille . De l’exploration de cet ‘inséparable Envers’, Jehanne Paternostre collecte les moindres rebus, les trie, les classe, les inventorie. Au-delà de leur archivage, l’envie de les sortir de cet anonymat dans lequel ils sont tombés, de les rendre visibles par un réenchantement des matières et des couleurs. Un soin apporté à ces menus objets qui passe par la main. Alors Jehanne Paternostre dessine sur papier, au crayon, des morceaux de textiles effilochés, au pastel orange, des fardes à rabats rehaussées d’un travail de couture, explore la relation entre texte et textile par la couture écrite. Un travail plus ancien qui la fera passer, en 2018 – année des commémorations de la guerre 14-18 du document au monument,. Année où son intérêt pour l’envers invisibilisé orientera son travail vers les restaurations commémoratives des sites, des monuments et des statues de soldats. En 2020-2021, sa résidence au T.A.M.A.T. la fera considérer la tapisserie comme monument textile et appréhender et documenter le métier de rentrayeur. Rendre visible une histoire, lui redonner un fil. Produire un nouveau fil, comme dans ce grand cercle parfait qui accueille le visiteur, à l’entrée de la galerie. Une tresse de dentelle qui intègre de manière aléatoire ces petits déchets de fils que l’artiste à patiemment récoltés, triés par couleur et texture. Des fils de toutes les époques, certains ayant 500 ans, lointains témoins de retissages anciens. Une œuvre qui se révèle en s’approchant. Un cercle parfait non fermé, laissant une histoire non finie, en cours, inachevée. L’œuvre conjointe présente un même fil recomposé, présentée en zig zag, pour évoquer la gestuelle du tissage. Plus loin, 3 petits cadres carrés présente un travail sur la conservation par le feutrage. Jehanne Paternostre emprisonne fils et poussière dans les fibres d’un feutre obtenu par frottement à l’eau chaude et au savon d’une laine de mouton à l’état brut. Présentés sous forme de ronds, ces conglomérats solides ont le rendu visuel d’une exploration au microscope. Sur une petite console, une pelote et un cône en porcelaine sur lequel s’enroule du fil obtenu au moyen d’un rouet , fil métissé d’infimes fragments de lin, d’ouate, de velcro, et de gaze. A côté, un tube en verre enferme de manière presque clinique un ensemble de fils compactés dans une gradation qui va du blanc au noir, réunis dans l’évocation d’un carottage géologique, presqu’archéologique du temps. Posé à l’horizontale, le temps devient paysage. Suspendu au mur de la galerie, un entonnoir en verre d’où s’écoule la laine comme s’écoule le temps dans un sablier. Une installation qui lie ustensile industriel de laboratoire à matière artisanale dans un passage de l’informe à la ligne, de la non couleur à la couleur déclinée. Une Installation – métaphore du rouet, acte fondateur de la tapisserie. Sur le sol une grande boîte de rangement compartimentée où l’artiste a délicatement inventorié, organisé, archivé, classé par couleurs, les petits bouts de fils qu’elle a collectés. A chacun son espace mémoriel, associé à un mot, un verbe d’action lié à l’acte de restaurer. 120 mots propres à divers métiers : suturer, cautériser, criopréserver, raccommoder, réhabiliter, soigner, redoubler (la coque d’un bateau) Sur son couvercle en papier marbré, les mots ‘Restaurer/Conserver’ inscrits en lettres dorées telle une épitaphe sur une plaque funéraire. Pendant ce temps-là, la mémoire voyage, s’abandonne pour mieux revenir ,ou pas, continue à s’écrire, suspendue à un fil, un jour peut-être tombé sur le sol. Usé par l’oubli et les torsions, ce petit bout de rien finira peut-être par retrouver les siens, dans cette dernière œuvre présentée où Jehanne Paternostre vise à reconstituer le fil d’origine à partir des déchets dont ils sont les traces. En acte ultime, la mémoire semble fuir et s’échapper sur le en un ensemble de lignes libérées de l’oubli. Jehanne Paternostre – brève BIO Jehanne Paternostre est née en Belgique en 1976. 2013-2018 : Master en Arts plastiques, visuels et de l’espace à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles (Arba-Esa), Atelier de Dessin. 1999 : Diplôme d’études complémentaires de second cycle en Histoire de l’Art/Archéologie (UCL). 1998 : Diplôme de Licence en Histoire (UCL). La Galerie Détour Il est des rencontres qui se font par hasard, c’est le cas de ma rencontre, de passage à Jambes, avec la Galerie Détour ; qui n’a jamais aussi bien porter son nom. Depuis sa création en 1973 par Claude Lorent, critique d’art et journaliste à La Libre, la Galerie Détour a pris le parti de rendre visible l’art contemporain dans le Namurois dans le but d’inciter un large public à se laisser stimulé par la curiosité et se laisser conduire dans les chemins inconnus de l’art. Depuis 50 ans, elle défend l’art contemporain en proposant à la fois des expositions d’artistes confirmés, mais aussi en accueillant de jeunes plasticiens valorisant un vaste éventail de disciplines artistiques comme la peinture, la sculpture ou la photographie, la création expérimentale, l’art minimal ou conceptuel, l’art vidéo. Sitôt l’exposition de Jehanne Paternostre terminée, elle déménagera vers son nouvel espace, deux maisons plus loin dans la même rue. Jehanne Paternostre L’inséparable contraire Galerie Détour 166 Avenue Jean Materne 5100 Namur (Jambes) jusqu’au 11 février 2023 du mardi au vendredi de 13h30 à 17h30 le samedi de 14h à 18h http://www.galeriedetour.be/ Jehanne Paternostre, photo d’un détail d’une restauration d’un tapisserie du 17ème siècle, archives du T.A.M.A.T., Tournai, exposition l’Inséparable Contraire, Galerie Détour, Jambes, 2023, (c) Jehanne Paternostre, Boombartstic Art Magazine, Bruxelles Jehanne Paternostre, Sans-Titre, 2022, exposition l’Inséparable Contraire, galerie Détour, Jambes, 2023, (c) Jehanne Paternostre, Boombartstic Art Magazine, Bruxelles Jehanne Paternostre, Déploiement, 2015, exposition L’Inséparable Contraire, Galerie Détour, 2023, (c) Jehanne Paternostre, Boombartstic Art Magazine, Bruxelles Jehanne Paternostre, Fantaisie, 2021, exposition l’Inséparable Contraire, galerie Détour, Jambes, 2023, (c) Jehanne Paternostre, (c) photo Decobecq, Boombartstic Art Magazine, Bruxelles Jehanne Paternostre, Horizon, 2021, exposition l’Inséparable Contraire, Galerie Détour, 2023, (c) Jehanne Paternostre, Boombartstic Art Magazine, Bruxelles Jehanne Paternostre, Au Fil du Temps, 2021, exposition l’Inséparable Contraire, galerie Détour, Jambes, 2023, (c) Jehanne Paternostre, (c) photo Decobecq, Boombartstic Art Magazine, Bruxelles Jehanne Paternostre, Restaurer-Conserver, 2021, exposition l’Inséparable Contraire, Galerie Détour, Jambes, 2023, (c) Jehanne Paternostre, (c) photo Van der Haeghen, Boombartstic Art Magazine, Bruxelles Auteur Eric Mabille "J’adore bouger et mon rapport à l’art est dans le mouvement, l’instinct et l’instant et ce depuis toujours. J'aime ce côté spontané, libéré de toute connaissance préalable, en vrai autodidacte. J’apprécie aussi pleinement le moment privilégié d’une preview presse, où seul dans une salle d’exposition, j’ai cette impression d’avoir toutes les œuvres pour moi. » Eric Mabille est diplômé en marketing, passionné de web, spécialisé en gestion de projets culturels et en marketing de destination et de niche. Il fréquente depuis plusieurs années l’atelier de dessin et les cours de chant lyrique à l’Académie de Saint-Gilles.