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Nikos Aliagas, l’indispensable errance

Le photographe Nikos Aliagas expose une quarantaine de ses tirages noir et blanc à la Galerie Art22, jusqu’au 08 octobre 2017. Quarante instants, quarante évocations intimes. Des portraits, quelques paysages et surtout des mains. Des âmes grecques se dévoilent entre voyage et déracinement.

Né à Paris en 1969, cet homme de media se souvient d’un cliché de son père enfant, découvert dans le secret d’une boîte à chaussures chez ses grands-parents. A l’âge de dix ans, son père lui offre son premier appareil photo, un Kodak Instamatic. C’est le début d’une passion, le moment des photos improbables de l’enfance, où le jeune Nikos photographie les mains et les pieds des membres de sa famille. Puis vient le temps des études et du travail. Cette passion sommeille quelque peu avant de revenir grâce au téléphone portable et l’avènement des réseaux sociaux. Ce sont d’abord des autoportraits, des moments de son quotidien, le jeu du partage. Et puis, çà devient une nécessité mue par un besoin de s’exprimer. Son objectif finit par se retourner vers les autres. Sur son compte Instagram, Nikos Aliagas partage ses instants privilégiés et ponctuels avec des anonymes, des stars, des personnes médiatisées, des visages et des mains.
En 2016, il présente son travail au public dans deux expositions, à la Conciergerie et au Palais Brongniart, à Paris.

L’indispensable errance

Dans un monde qui bouge si vite, Nikos Aliagas capture l’instant significatif, le regard, le mouvement, le détail. Ses moments, ses errances, c’est du temps volé à son quotidien, du temps qu’il n’a pas, qu’il ne possède pas. L’errance est une évidence de la vie et moments de liberté, pour celui dont le planning professionnel s’égrène en minutes, dès 6h du matin jusqu’à tard le soir. En résulte – pour ce photographe autodidacte au passé de journaliste de documentaire et d’information – une urgence à photographier.

La perception du temps

‘Je n’ai pas peur du temps, j’ai peur de ne pas le voir surtout.’

Au contemplatif des paysages – qu’il photographie peu – Nikos Aliagas préfère l’instantané des portraits. Délaissant le temps chronologique, il opte pour celui plus subtil et personnel des orientaux et des méditerranéens, le Kairos. Autrefois divinité, il symbolise le temps métaphysique, celui du basculement entre l’avant et l’après, celui du hasard, de l’imprévu et des synchronicités. C’est le temps de l’archétype, non du stéréotype. Seul maître du temps, le temple antique de la Baie de Sounion semble nous défier et dresse ses colonnes chargée d’histoire, gardien d’un temps éternel qui n‘appartient qu’aux dieux.

La lumière

Sortir des couleurs et ne garder que les courbes, les lignes, les nuances. Utiliser les couleurs, c’est prendre la voie de l’icône, de l’idolâtrie, du vénéré d’un jour, par la suite brûlé. C’est ce monde – comme le définissait Umberto Eco dans le Nom de la Rose – entre l’ Idolum en latin, idole et eidôlon [εἴδωλον], en grec, la réflexion trompeuse du miroir.
Nikos Aliagas a choisi d’écrire avec l’ombre et la lumière une photographie noir et blanc.
Comme ce magnifique tirage argentique petit format seul sur son mur, Catharsis. La pluie darde de ses traits une mer sans fin ; une écriture proche d’un dessin à la pointe noire. Tout est là dans le petit, dans l’introspectif intemporel.

Les mains

Dans le travail de Nikos Aliagas, des mains se laissent apprivoisées, souvent vieilles, tortueuses, modelées comme des sculptures de Rodin. Des mains, témoignages d’une vie, d’un temps où on ne fait que passer. Des mains proches des arts aussi, celles qui composent la musique, écrivent les lettres, façonnent la sculpture. Les mains des rituels enfin, celles des hommes et des femmes qui s’enduisent le corps de boue aux vertus thérapeutiques dans la lagune de Messolonghi. Étrange cérémonial qui voit ceux qui venaient du village et ceux qui y sont restés, réunis dans cette boue originelle desséchée au soleil dont ne subsistera que poussière. Les mains sont autant de récits, qu’elle soient de maître, de Dieu, gauche ou droite, révélant le génie, sexuées ou apaisantes, elles sont aussi pour le photographe le témoin direct d’une lignée construite génération après génération.

Âmes grecques

La Grèce, c’est ceux qui y vivent, ceux qui la vivent ou l’ont croisée au hasard d’un voyage. Dans cette itinérance photographique l’âme grecque devient l’expression de l’invisible de leur vie. Elle est héritage et transmission. A moins qu’elle n’évoque ce manque perpétuel de Grèce, celle que les déracinés ne retrouvent plus en y retournant. Elle provoque le regard intime sur des souvenirs et des chemins personnels inconnus et nous renvoie aux nôtres. Revoir l’enfance à travers le visage d’une vieille dame signé par le soleil et les années, envisager l’enfance à travers la vieillesse dans un va-et-vient d’un temps suspendu. Comme dans cet extrait de l’album ‘Odes’ qui réunissait la musique de Vangelis et la le chant d’Irène Papas, cet air que vous écoutez, vous qui lisez ces lignes.

Dans sa photographie, Nikos Aliagas partage des synthèses de vie. Il y règne une musicalité presque nostalgique et une impression des choses familières, les yeux dans les yeux avec les personnes et paysages qu’il croise. Restent des fragments d’histoires qui se racontent avec la solidité et la fragilité des vécus, une vie qui s’humanise, marquée par les contrastes entre noir et blanc, celle qui délaisse la pose pour l’instant ; celle de l’essentiel moment.

 

Nikos Aliagas
Âmes grecques
Jusqu’au 8 octobre 2017
Art 22 Gallery
Place du Jeu de Balle, 56
1000 Brussels
Du vendredi au dimanche
De 10h30 à 17h30
www.art22.gallery/index2.php

N’hésitez pas à me faire part de vos commentaires, en dessous des illustrations de cet article.

 

Nikos Aliagas
Nikos Aliagas, Catharsis, Tirage argentique lambda sur papier Ilford galerie, (c) photo Nikos Aliagas, Courtesy Art22 Gallery, Bruxelles

 

Nikos Aliagas
Nikos Aliagas, Alykes, Tirage argentique lambda sur papier Ilford galerie, (c) photo Nikos Aliagas, courtesy Art22 Gallery, Bruxelles

 

Nikos Aliagas
Nikos Aliagas, La fille à l’Accordéon, Tirage argentique lambda sur papier Ilford galerie, (c) photo Nikos Aliagas, Courtesy Art22 Gallery, Bruxelles
Nikos Aliagas
Nikos Aliagas, La Dame du Ferry, Tirage argentique lambda sur papier Ilford galerie, (c) Nikos Aliagas, Courtesy Art22 Gallery, Bruxelles

 

Nikos Aliagas
Nikos Aliagas, La Bonté de Giota, Tirage argentique lambda sur papier Ilford galerie, (c) photo Nikos Aliagas, Courtesy Art22 Gallery, Bruxelles

 

Nikos Aliagas
Nikos Aliagas, Signe des Temps, Tirage argentique lambda sur papier Ilford galerie, (c) photo Nikos Aliagas, Courtesy Art22 Gallery, Bruxelles

 

Nikos Aliagas
Nikos Aliagas, Lignes de temps, Tirage argentique lambda sur papier Ilford galerie, (c) photo Nikos Aliagas, Courtesy Art22 Gallery, Bruxelles

 

Nikos Aliagas
Nikos Aliagas, Mains, Alykes, Tirage argentique lambda sur papier Ilford galerie, (c) photo Nikos Aliagas, Courtesy Art22 Gallery, Bruxelles

 

Nikos Aliagas
Nikos Aliagas, portrait, (c) Nikos Aliagas

 

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2 Commentaires

  • Cautaerts Chantal
    7 années ago

    On ne peut qu’être tenté de découvrir cette exposition
    d’un homme de médias sous les feux de la rampe ,
    qui s’exprime par la photo avec une telle profondeur et sensibilité , par son observation et son imagination créatrice ,
    tellement loin de ce qu’on pourrait imaginer !
    Grâce à cet article construit et éclairant ,
    ayant admirablement perçu l’âme de ces photos ,
    je les regarderai avec une fine perception .

    • Eric Mabille
      7 années ago

      Un tout grand merci votre commentaire. 🙂 Rendez-vous sur http://www.boombarstic.be pour d’autres découvertes. Excellent week-end.

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